En avril 1792, dans un rapport intitulé L'Organisation générale de l'instruction publique Condorcet nous proposait (à sa manière) une nécessité d'Education Populaire : « tant qu'il y aura des hommes qui n'obéiront plus à leur seule raison, mais qui recevront leurs opinions d'une opinion étrangère, en vain toutes les chaînes auraient été brisées,...le genre humain en restera partagé entre deux classes : celle des hommes qui raisonnent, et celle des hommes qui croient. Celle des maîtres et celle des esclaves ».
1° difficulté : Dans notre société consumériste qui réduit notre jugement à la seule appréciation utilitaire d'un objet, qui adore les étiquettes et les cases pour ranger les "produits", il est toujours difficile de faire comprendre que ce que l'on fait n'a de valeur qu'au regard du pourquoi on le fait.
2° difficulté : L'Education populaire n'a pas de programme, pas de lieu spécifique, elle s'exerce partout et pour tous, sans exigence ni prétention de « résultats immédiats ». Aussi sa lisibilité n'apparaît-elle pas évidente, son efficience douteuse.
Si donc nous voulons réanimer le tissu social, nous devons nous remettre à l'ouvrage de la démonstration, de la persuasion, que l'Education populaire se veut une démarche éducative qui tend à permettre à chacun de s'approprier des connaissances, des savoirs et des savoir-faire, mais aussi les savoir être du Citoyen dans sa relation avec la société, qui vise à favoriser l'auto-appropriation de ces "savoirs" par la découverte de ses propres capacités : à faire, à dire, à penser, à agir et à s'éveiller au fonctionnement démocratique, c'est-à-dire à la dialectique du Pouvoir et du contre-pouvoir !
Le premier de tous est quel' Éducation Populaire et la Vie Politique entretiennent des rapports paradoxalement ombrageux ou ambigus.
Chacun a en mémoire que, selon les gouvernances, des mouvements d'Éducation Populaire ont pu être privés de toute ressource, donc asphyxiés, au prétexte que leur « orientation était manifestement politique !» ; plus insidieusement, nous connaissons des collectivités territoriales qui, pour les mêmes raisons (mais non dites), nous ont peu à peu écartés des missions éducatives que nous étions légitimes à assumer ; autant de décisions qui viennent rappeler continuellement qu'une démarche d'Éducation Populaire repose sur des bases fragiles qu'il faut toujours consolider face à des pouvoirs publics souvent dubitatifs et préoccupés par la gestion.
Voilà toute l'ambition politique qui anime l'Éducation Populaire. Conquérir les clés du Savoir, celles qui permettent à l'Homme de s'affranchir des idées préconçues, des préjugés, des "vérités révélées" pour s'épanouir dans et par sa propre action, sa propre réflexion. L'ambition complémentaire de CONDORCET, selon son expression propre, était de "rendre la Raison populaire". Rude combat ! Ce projet-là est un projet humaniste. Et le chemin pour l'atteindre est un combat de libération, de maturation sociale, d'émancipation : C'est le combat pour la Laïcité qui n'est devenue une valeur fondamentale de la République que par une victoire sur l'obscurantisme et la direction des consciences et dont le principe fondamental, la "Liberté absolue de conscience", est toujours menacé.
En effet, rappelons-nous : La 5° République a vite perçu les dangers que représentait pour sa stabilité ce « chaudron à cuisiner des citoyens libres et responsables, ». Elle a cherché à transformer (et réussi) l'animation socio-éducative en animation socioculturelle puis en animation culturelle. Elle a valorisé alors la démarche culturelle, certes riche, indispensable, au détriment de la démarche socioéducative. Avec les Maisons de la Culture, MALRAUX a développé une politique basée sur la théorie dite du "choc esthétique", qui affirmait que le Beau est accessible, non par l'Éducation, mais par la contemplation de l'œuvre d'Art censée produire un choc sur la sensibilité de l'individu. Cette théorie a dépossédé les associations et mouvements d'Éducation Populaire de leur potentiel pédagogique, pour les confiner, subventions aidant, dans une fonction de « producteurs d'activités, culturelles, artistiques, sportives ». L'Éducation Populaire s'en est-elle remise ? Quelle responsabilité portons-nous ? N'aurions-nous pas laissé l'Education Populaire se déliter, perdre son âme dans « l'offre culturelle consumériste » ? Ayons le courage de porter un regard lucide, au sein même de notre mouvement, de nos associations fédérées et amies !
Le diagnostic, aujourd'hui partagé, qui légitimerait notre Désir d'Education Populaire, fait état d'une société en déficits plus ou moins criants : déficit démocratique (confiscation de la parole à tous les niveaux), déficit de citoyenneté, déficit idéologique (on n'ose plus parler des idées fondamentales), déficit de cohésion sociale (fracture sociale), déficit de promotion sociale (l'ascenseur social), déficit dans la mise en valeur des compétences, notamment chez les jeunes. On assiste à la montée des communautarismes, les intérêts particuliers prennent le pas sur l'Intérêt Général. Le dialogue entre les générations au mieux est en panne, au pire dégénère en un sentiment de peur et de méfiance, voire en affrontements. Et l'on assiste, aujourd'hui, à la plus sévère tentative de remise en cause de la Laïcité.
Aussi les Autorités de l'Etat, à tous les niveaux, ont-elles pris conscience de l'urgence de réinscrire la citoyenneté au cœur de l'Education et lors de récentes rencontres auxquelles nous avons été conviés, nous avons eu l'occasion de rappeler que notre mouvement pouvait, était légitime, à participer à cette réflexion, à s'inscrire en partenaire, bien au-delà d'une »boîte à outils » à disposition.
Pour participer activement à cette aventure humaine, nous devons retrouver les sens de l'Education Populaire, refuser de rester enfermés dans la « bulle (prétendue) idéaliste » dans laquelle nous avons été (et accepté de rester) inscrits.
Cette pensée nous place devant la seule responsabilité de l'Homme social : assumer sa place et prendre toute la part qui est la sienne dans la société, pour affirmer les conditions de sa Liberté : c'est parce qu'il est libre qu'il peut choisir, c'est parce qu'il peut choisir qu'il peut agir.
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