mardi 16 mai 2017

Democratie...Education...Laïcité

A l'occasion de l'AG 2017 de la Ligue de l'enseignement 47 (ex FOL47), je vous propose le rapport moral du Président Bruno Pontoni qui éclaire les liens entre ces mots qui nous sont chers:

DEMOCRATIE… EDUCATION… LAICITE…

 « L’histoire ne se répète pas, elle bégaie… » disait Karl Marx pour nous rappeler que, sous des formes différentes, déguisées, les problématiques du passé se rappellent à notre attention lorsqu’elles ont été oubliées, insuffisamment ou mal appréhendées.

Février 1848 : Vous connaissez certainement cette date clef : la France vit l'insurrection Républicaine amenant le départ de Louis Philippe 1er, roi des français, la proclamation de la République et l’instauration du suffrage universel (pour les hommes). Et Jean Macé écrit : « Je n’oublierai jamais l’impression étrange, mélange de joie folle et de terreur secrète que me fit l’apparition subite du suffrage universel ; le sort de la France était remis aux volontés d’une multitude ignorante : il fallait avant tout faire l’éducation de ce « maître inculte ». Il avait parfaitement raison : la IIème République s’est vite et mal terminée. Les électeurs ont voté pour Bonaparte et la majorité monarchiste en 1852.
Dans la prise de conscience de Jean Macé, que traduit son écrit, l’ADN de la future Ligue de l’Enseignement était, en filigrane, révélée : Démocratie, Education et…Laïcité ; vous connaissez la suite donnée en 1866 par ce même Jean Macé, l’appel à un projet de création de la Ligue de l’Enseignement, et son combat pour le droit, pour toutes et tous, à l’instruction publique.

Juin 2016 : Le Congrès trisannuel de la Ligue de l’Enseignement, nous a tracé une « nouvelle feuille de route », véritable boussole pour les fédérations départementales, bien sûr, mais aussi pour les associations affiliées ; après Toulouse en 2010, «Faire société», Nantes en 2013, «Un avenir par l’éducation populaire», notre centre confédéral a choisi de retenir, pour 2016-2019, (de revenir à) trois grandes causes, originelles à défaut d’être originales, tant elles ont nourri, dès sa naissance, notre mouvement. Ces trois grandes causes retenues à Strasbourg, « Education et formation », « Démocratie et citoyenneté », « Laïcité » , résonnent en écho (vous l’entendez !) à Février 1848 et octobre 1866 et s’imposent, aujourd’hui, dans ces temps troublés, incertains, où nos repères fluctuent trop souvent au gré des événements, comme des chantiers inachevés, à réactualiser, à redynamiser, à réinscrire dans nos investissements sociétaux, sous forme de défis à relever…

L’histoire bégaierait elle comme l’affirmait Karl Marx ? Cette feuille de route se révèle, aujourd’hui, d’autant plus pertinente que, depuis quelques jours, nous sommes entrés dans un nouvel espace de gouvernance qui doit nous imposer lucidité et vigilance. Les déclarations du candidat, devenu Président de la République pour cinq ans, en réponse aux questionnaires que notre centre confédéral lui avait soumis, ou à travers ses différentes publications recèlent, dans les trois chantiers rouverts, certaines affirmations, rassurantes pour certaines, à confirmer dans les actes, (Vie Associative, ESS…), d’autres affirmations plus contrastées (Education), d’autres enfin plus vagues, généralistes, donc énigmatiques (Laïcité) et un silence inquiétant sur les « services civiques », malgré le rapport de Mme Dombre/Coste qui lui a été remis en juillet 2015, portant, entre autre, proposition de Service Civique entrepreneurial ; en outre les restrictions en tous genres, annoncées dans ses programmes, pourraient cacher d’autres visées moins avouables, d’autant que nous ne connaissons pas encore la composition de la future Assemblée Nationale ! Lucidité et vigilance donc… J’y reviendrai plus loin…
Le projet fédéral 2017-2020, que nous avons réalisé sur la base des trois chantiers précités, « Education et formation », « Démocratie et citoyenneté », « Laïcité » et les travaux multiples qu’il a nécessités, m’ont peu à peu convaincu de la forte interdépendance de ces chantiers qui m’apparaissent comme trois frères siamois, indissociables, qui se nourrissent l’un de l’autre, au point que l’abandon de l’un conduirait irrémédiablement à la perversion des deux autres, voire à leur négation…En effet… Si la laïcité, n’a d’autre visée que de participer au « vivre ensemble » par le respect des individus qu’elle s’interdit de juger en raison de leurs seules intimes convictions, la démocratie qui s’origine dans l'agora, ce lieu public, dans la Grèce antique, où se réunissait l'assemblée des citoyens et non dans le Livre (je fais ici référence aux « religions du Livre ») la démocratie disais-je ouvre cet espace de « convivialité » (au sens originel de ce terme) dont Shimon Peres disait qu’il « permettait l’expression des différences avec la tolérance, la liberté et le respect » et que Edgar Morin complétait en affirmant « qu’il permettait, en profondeur, l’organisation de la diversité ».
Laïcité et démocratie s’opposent donc à toute idée d’enfermement, d’endoctrinement…de soumission aveugle et passive à un pouvoir supposé omniscient ou à une vérité révélée indiscutable et invitent au débat, à tout discuter, contester, sans discrimination aucune. La laïcité n’est pas un athéisme militant, un dogme, une autre forme de religion. La laïcité s’oppose à l’idée qu’une entité surnaturelle s’imposerait dans l’espace démocratique, et permet ainsi à tout individu d’accéder librement à la conscience citoyenne. En ce sens, la laïcité est la substance même de l’organisation démocratique, la seule qui préserve le peuple des maîtres de la révélation, qu’ils soient organisés en clergés ou qu’ils ne le soient pas… La laïcité est donc la condition de la démocratie. Ensemble, laïcité et démocratie créent, préservent, un espace libre de toute conviction indiscutable, pour permettre le débat. A cet effet, la démocratie exige qu’il existe « une agora », un espace, un temps, un langage, partagés, libérés de toute obédience, dans lesquels et par lesquels tous les individus, sans aucune exclusive, quelles que soient leurs origines, couleur, cultures, convictions, pourront partager leurs réflexions personnelles sur le « bien commun », un « bien commun » satisfaisant pour toutes et tous, et discuter la loi commune, indépendamment de leurs croyances. Qu’en leur for intérieur, certains puissent croire que leur loi divine est supérieure à la loi républicaine, le principe de liberté de conscience ne s’y oppose pas. Mais dans la vie publique, dans les actes civils, chacun doit se conformer à la loi de la république. En tant qu’humanistes, nous n’adhérerons jamais à ces conceptions qui humilient « l’autre » au prétexte de sa différence de sexe, de couleur, de culture, d’origine…, ces conceptions qui refusent de considérer cet « autre » comme un être égal en dignité et en droit, doué de raison. La conclusion à cette première partie, je vais l’emprunter à Jean Jaurès dans son discours à Castres en Juillet 1904.« Si la démocratie fonde, en dehors de tout système religieux, toutes ses institutions, tout son droit politique et social,(…) si elle ne s’appuie que sur l’égale dignité des personnes humaines appelées aux mêmes droits et invitées à un respect réciproque,… si elle se dirige sans aucune intervention dogmatique et surnaturelle, par les seules lumières de la conscience et de la science, …si elle n’attend le progrès que du progrès de la conscience et de la science, (…) j’ai bien le droit de dire qu’elle est foncièrement laïque, laïque dans son essence comme dans ses formes, dans son principe comme dans ses institutions, et dans sa morale comme dans son économie. Ou plutôt, j’ai le droit de répéter que démocratie et laïcité sont identiques ».
 Si donc laïcité et démocratie sont « identiques », indivisibles, et si la démocratie a le devoir d’assumer sa mission, qui est d’assurer l’égalité des droits, comprendrions-nous qu’elle renonce à inscrire la laïcité dans l’institution éducative, c’est-à-dire dans l’institution la plus essentielle, celle qui prépare à l’engagement citoyen ? Comment la démocratie, qui organise tout le champ politique et social sur le principe de laïcité, pourrait-elle ne pas le privilégier, l’imposer, dans l’éducation, c’est-à-dire au cœur même de l’organisation républicaine ? L’éducation ne saurait se concevoir que comme l’accompagnement de l’émergence d’un sujet libre. Dans une société démocratique, l’éducation est éducation à la démocratie dont la mission essentielle est de former des citoyens capables de s’inscrire dans la société environnante en toute conscience, de définir ensemble le bien commun et de travailler à plus de solidarité entre les peuples. L’éducation porte une responsabilité collective car elle engage le futur qu’elle conditionne. Comme condition de l’avenir de la démocratie, l’éducation ne peut être soumise à une injonction d’essence surnaturelle. Elle a pour mission de contribuer à l’émancipation des personnes par la transmission des savoirs, bien sûr, mais aussi par un accès le plus large et diversifié à tous les champs de la culture. Cette évolution vers plus de liberté et de citoyenneté, constitue le fil directeur de l’éducation populaire, chère à notre mouvement, animée d’une conception citoyenne et humaniste qui vise à donner à chacun l'instruction et la formation nécessaires pour devenir un acteur capable de participer à la vie du pays. Ce fil directeur, dès l’éducation de la jeunesse mais aussi tout au long de la vie, doit per- mettre d’apprendre progressivement à distinguer le « savoir » du « croire », « la connaissance » de « l’opinion », « l’objectivité scientifique » de la « conviction personnelle ou collective ». Cette distinction est fondatrice de la laïcité. Dès les apprentissages scolaires, l’enfant doit apprendre à « penser par luimême », à résister à toutes formes d’endoctrinement, et, ainsi, à développer cette pensée critique qui caractérise le citoyen lucide. Que ce citoyen complète, individuellement, l’éducation laïque et sociale, démocratiquement instituée, par telle ou telle croyance ou par un enseignement religieux, c’est son droit, c’est sa liberté, mais il ne saurait se soustraire à l’ordre républicain. Enfin, comment l’enfant pourrait-il être préparé à exercer lucidement les droits que la démocratie laïque lui reconnaîtra plus tard, devenu adulte, si lui-même n’a pas eu accès, dans un cadre laïque, au droit essentiel que lui reconnait la loi, le droit à l’éducation ? Et Léon Gambetta de conclure : « Ce qui constitue la vraie démocratie, ce n'est pas de reconnaître des égaux, mais d'en faire (…) et l’éducation doit y contribuer ».
Alors, oui, notre mouvement laïque d’éducation populaire se doit, je vous le disais, de rester lucide et vigilant : les échéances (encore incertaines) qui lui seront proposées l’exigeront. Autour de ces trois chantiers, ces trois « frères siamois », au cœur des investissements que notre fédération départementale et les associations affiliées conduiront, à nous de susciter, provoquer, accompagner les initiatives associatives, inter associatives, sur tout le territoire, entre toutes les forces laïques qui entendent promouvoir l’éducation populaire pour que l’injonction de Jean Macé, ne se dilue pas, peu à peu, doute après doute, dans un activisme consumériste dévastateur. « Notre chemin à tous, gens de la Ligue, (disait-il) est forcément le même : faire penser ceux qui ne pensent pas ; faire agir ceux qui n'agissent pas ; faire des hommes et des citoyens. » Oui, soyez-en persuadés, nous aurons à interroger nos futurs responsables sur l’espace des responsabilités qu’ils souhaitent organiser entre État et notre mouvement et nous aurons à les convaincre, par notre militantisme actif, que la Ligue de l’Enseignement, à tous les niveaux de ses investissements, reste un mouvement laïque responsable, incontournable, au service de l’Education du Citoyen…et nous éviterons ainsi de tomber dans le chaos annoncé dans la formule de Marx qui ouvrait ce propos et dont je vous livre maintenant l’intégralité : « L’histoire ne se répète pas, elle bégaie…la première fois comme une tragédie, la deuxième fois comme une farce ».
 Le projet fédéral 2017-2020 que nous allons vous présenter et que nous proposerons à toutes nos associations affiliées, porte cette ambition, cette responsabilité, de réanimer les trois chantiers, « frères siamois », proposés par le Congrès de juin 2016, pour les faire partager à toutes les mouvements laïques de notre territoire.
La conclusion à mon propos aurait pu tenir en une formule à versant tautologique :
Qui dit démocratie dit exercice éclairé de la citoyenneté, qui dit exercice éclairé de la citoyenneté dit éducation à l’esprit critique, qui dit éducation à l’esprit critique dit laïcité…

Mais je laisserai les derniers mots de ce rapport moral à deux éminentes personnalités, en prenant la liberté de les mettre en écho : « La fonction première d'une société démocratique est d'éduquer, c'est-à-dire de faire prendre conscience à chacun qu'il peut se choisir un destin et s'efforcer de le réaliser.[...] Il ne s'agit pas de fabriquer des hommes tous conformes à un modèle, ayant tous appris les mêmes réponses, mais des citoyens capables de formuler de nouvelles questions, propositions... » Vous avez (peut-être) reconnu Albert Jacquard (chercheur et essayiste). "Il est temps de dire que la laïcité ne peut être cantonnée à un mode d'organisation sociale. Elle est porteuse d'un idéal, celui de l'individu-citoyen qui sait qu'il n'y a de savoir-vivre collectif que dans la confrontation, librement débattue, de convictions individuelles. » Vous avez (certainement) reconnu Jean-Michel Ducomte (Président de la ligue de l’Enseignement)
Démocratie…Éducation…Laïcité !
Je vous remercie de votre attention.
Bruno Pontoni,
Président de la Ligue de l’enseignement de Lot-et-Garonne, Damazan le 13 mai 2017.

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